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INTERVIEW DE GUDRUN SCHLEIERMACHER

Quelle est la situation des cancers chez les enfants et jeunes adultes en France ?

Aujourd’hui, environ 2500 enfants et adolescents atteints d’un cancer sont diagnostiqués chaque année en France. Parmi ces patients, 80% d’entre eux pourront être guéris. Mais cela veut dire que 20% ne peuvent pas être guéris et même parmi les patients guéris, cela se fait parfois au prix de séquelles importantes en rapport avec des traitements très lourds et suite à des effets secondaires. Dans l’Ostéosarcome, le cancer osseux le plus fréquent chez les adolescents et les jeunes adultes, le taux de guérison se situe aux alentours de 60 à 70% pour les enfants avec une tumeur localisée sans métastases et n’est malheureusement qu’aux alentours de 20 à 30% chez des patients chez qui des métastases ont été détectées ou en cas de localisations très défavorables qui ne peuvent pas être opérées.

Depuis de nombreuses années, les stratégies thérapeutiques globales du traitement de l’Ostéosarcome reposent sur trois étapes : d’abord un traitement par chimiothérapie, puis une intervention chirurgicale, puis encore de la chimiothérapie. Finalement ces traitements n’ont presque pas du tout évolué depuis. Ce sont toujours les mêmes produits de chimiothérapie, il y a peu d’évolution dans la prise en charge globale. Nous avons grand espoir que les études biologiques puissent apporter des connaissances qui nous permettront de développer de nouvelles stratégies thérapeutiques.

Quels sont les objectifs du projet MICCHADO-OSTEOSARCOMA ?

L’étude MICCHADO, promue par l’Institut Curie, est une étude clinico-biologique phare du centre d’oncologie SIREDO. Cette étude a pour objectif d’analyser les altérations génétiques d’enfants atteints de cancers à hauts risques pour tous les enfants inclus et dans tous les centres participant en France. Le projet MICCHADO-OSTEOSARCOMA, soutenu par MSDAVENIR, se focalise particulièrement sur les enfants atteints d’un ostéosarcome de haut risque au sein de cette grande étude MICCHADO.

Dans le projet MICCHADO-OSTEOSARCOMA nous souhaitons nous baser sur des analyses en biologie moléculaire afin de contribuer aux connaissances nécessaires pour développer de nouveaux traitements. Selon notre hypothèse, les profils moléculaires pourront nous aider à la fois à définir des pathologies spécifiques, des sous-groupes de patients avec un pronostic spécifique pour adapter les traitements et surtout pour un enfant donné, chercher des biomarqueurs qui vont prédire la réponse à certains traitements. Mais nous savons aussi que ces biomarqueurs (les caractéristiques biologiques) peuvent se modifier au fil du temps.

Des travaux récents ont montré que même si on trouve certaines mutations, certaines altérations génétiques dans une tumeur donnée, celles-ci peuvent évoluer au fil du temps ; on parle d’évolution clonale. Dans mon équipe de recherche RTOP (Recherche Translationnelle en Oncologie Pédiatrique) à l’Institut Curie, nous avons pu mettre au point des moyens simples pour suivre les altérations génétiques provenant des cellules tumorales à partir d’une simple prise de sang : il s’agit de l’étude de l’ADN circulant. On peut donc, grâce à des méthodes de pointe utilisées dans mon équipe, isoler l’ADN tumoral circulant dans le sang et grâce à des technologies récentes, étudier les altérations génétiques pour un enfant/un adolescent donné, à différents moments pendant le traitement ou pendant le suivi.

Il peut y avoir un double objectif à réaliser ces analyses : tout d’abord il s’agit d’identifier des biomarqueurs pour caractériser la maladie à un moment donné, voir étudier comment les altérations génétiques évoluent au fil du temps ; il est possible que dans l’avenir, le traitement puisse être adapté en fonction de ces analyses. Ensuite, nous pourrons, dans un avenir proche, utiliser ces marqueurs pour suivre au mieux les maladies et peut-être avoir des marqueurs d’évolution, de rechute, de progression ; nous devrons déterminer si nos analyses sur l’ADN circulant tumoral pourront être plus sensibles que les examens en imagerie par scanner ou l’IRM.

Grâce au soutien de MSDAVENIR, nous avons déjà pu inclure 45 enfants atteints d’ostéosarcome. Le soutien de MSDAVENIR nous permet de faire ces analyses en biologie moléculaire, par des techniques de séquençage détaillé, de la tumeur au moment du diagnostic et surtout, effectuer des prises de sang et analyser les altérations génétiques au fur à mesure. Cela nous apporte des nouvelles connaissances en termes d’évolution de ces altérations chez des enfants atteints d’ostéosarcome. Nous allons également nous intéresser aux analyses immunologiques. On sait que l’immunologie dans le sens large joue un rôle important, à la fois dans le développement des cancers et probablement dans le contrôle de la maladie. Dans le cadre de MICCHADO, nous souhaitons mettre en commun à la fois les connaissances sur les altérations génétiques de la tumeur et les caractéristiques immunologiques de la tumeur du patient. Grâce au soutien de MSDAVENIR nous avons pu effectuer des analyses chez 27 des 45 patients atteints d’ostéosarcome dans notre étude MICCHADO. Les premiers résultats obtenus semblent être en faveur de la présence de cellules spécifiques du système immunologique chez ces patients. C’est véritablement le soutien de MSDAVENIR qui nous a permis d’inclure des patients atteints d’ostéosarcome dans cette étude nationale de grande envergure, ce qui contribue énormément à la recherche sur ces pathologies.

MICCHADO est un programme de recherche, dont les résultats ne sont pas, à priori, communiqués à l’équipe soignante. Nous avons également prévu un fonctionnement qui permet, pour un patient donné, de pouvoir bénéficier des analyses qui ont été réalisées, si le médecin pense que cela est utile pour un patient donné. Il faut préciser que pour les enfants /adolescents atteints d’un ostéosarcome, il existe bien évidemment des traitements recommandés ou des protocoles standards. Actuellement les traitements de première ligne sont proposés dans le cadre de l’étude Sarcome13, promu par Unicancer (PI Nathalie Gaspar, Gustave Roussy). En cas de situation d’échec de traitement, notamment en cas de progression précoce, ou sans possibilité d’un nouveau prélèvement tumoral, les résultats de l’analyse MICCHADO peuvent être rendus aux cliniciens pour éventuellement orienter au mieux le traitement de ces patients. Grâce à MICCHADO-OSTEOSARCOMA la présence d’altérations génétiques ciblables a pu être mis en évidence chez plusieurs patients atteints d’un ostéosarcome, et les données ont pu être utilisées pour orienter vers des essais de thérapeutiques ciblés tels que eSMART.

A présent, ce que nous ne savons pas encore, et ce que l’on souhaite analyser par la suite : c’est comment les altérations génétiques vont évoluer au fil du temps pour un patient donné. Et surtout comment nous pourrons utiliser l’étude de l’ADN circulant pour éventuellement essayer de prédire l’évolution de la maladie et voir s’il y a une rechute ou une progression pour un enfant donné.

Quelles sont les pistes thérapeutiques qui peuvent être envisagées ?

Nous voudrions mettre en commun les connaissances en biologie moléculaire et les connaissances en immunologie pour développer de nouvelles approches thérapeutiques qui pourraient se situer dans des combinaisons de traitements spécifiques ciblés, chimiothérapies et peut être immunothérapie. Je pense aussi que, d’une manière générale et conceptuelle, nous devons certainement arriver à développer des stratégies thérapeutiques moins statiques. Actuellement, dans notre stratégie, nous donnons un traitement de chimiothérapie pendant longtemps. Je pense que le concept futur qu’on souhaiterait développer, et ces données vont nous y aider, c’est de pouvoir alterner ou combiner les traitements par chimiothérapie et les traitements ciblés, et si pertinent l’immunothérapie également pour qu’on puisse avoir des traitements plus efficaces sur le moyen et le long terme.Ce ne sont que des idées qu’il va falloir explorer. L’étude MICCHADO-OSTEOSARCOMA générera des données cliniques et biologiques d’une importance extrême permettant une meilleure compréhension de ces aspects.

Il existe en France des équipes spécialisées pour la recherche sur l’ostéosarcome ; je pense que ces données seront d’un grand intérêt dans le développement à la fois de stratégie globale pour les cancers pédiatriques, et plus spécifiquement pour l’ostéosarcome.

Le projet est bien plus qu’une étude, c’est un consortium

MICCHADO est un programme collaboratif que nous dirigeons depuis l’Institut Curie, avec des partenaires à Gustave Roussy et au Centre Léon Bérard à Lyon, avec une répartition des analyses dans le domaine de la biologie moléculaire et l’immunologie. Nous nous sommes répartis le travail avec l’idée que l’on puisse inclure, dans le programme, des patients pris en charge dans tous les centres de la Société française de lutte contre les cancers et leucémies de l’enfant (SFCE). Les échantillons biologiques des patients sont répartis entre les différentes plateformes d’analyse : Institut Curie, Centre Léon Bérard et Gustave Roussy. Nous organisons ensuite les données générées de manière optimale afin qu’elles puissent aussi servir à d’autres chercheurs et à d’autres programmes de recherche, c’est extrêmement important.

Aujourd’hui, le programme France Médecine Génomique 2025 a pour objectif d’intégrer le séquençage de très haut débit dans le soin. Deux pré-indications pédiatriques trouvent leur place dans ces programmes de séquençage. La première pré-indication prend la suite d’un programme MAPPYACTS et qui a pour objectif de faire un portrait moléculaire pour un enfant ou adolescent en situation d’échec de traitement. L’autre pré-indication portera sur les enfants/adolescents au moment du diagnostic. France Médecine Génomique ne prévoit ni les analyses immunologiques, ni les analyses en ADN circulant. Notre programme MICCHADO-OSTEOSARCOMA reste vraiment unique par rapport à ces analyses.

Je pense que l’aspect de partage des données est extrêmement important. Il existe des initiatives de création de bases de données, notamment pour différentes pathologies, dont l’ostéosarcome, où j’espère que l’on pourra partager les données de grande échelle pour qu’elles puissent être réunies avec d’autres types de données. Les données que génère le projet MICCHADO-OSTEOSARCOMA sont uniques en termes de séquençage sur l’ADN circulant et les analyses immunologiques. Il faut que cela trouve sa place dans des bases nationales et peut-être internationales.

Plus qu’un soutien, MSDAVENIR est un partenaire qui ouvre le dialogue

Le soutien de MSDAVENIR est extrêmement précieux pour notre étude MICCHADO-OSTEOSARCOMANous sommes accompagnés dans le projet et nous pouvons avoir des discussions chaque année lors de la Journée Scientifique MSDAVENIR. Tout ceci est extrêmement précieux et très apprécié également par mes collègues.